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Dark tourism ou tourisme de mémoire ?

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© Mathis Jrdl

Entre dark tourism et tourisme de mémoire, la ligne est parfois fine. Peut-on se rendre sur les lieux d’un drame avec une compréhension totale des enjeux de cette visite ? Quelle est la différence entre intérêt, curiosité et voyeurisme ? Comment peut-on pratiquer ce genre de tourisme dans le respect ?

Aujourd’hui, on étudie la question du tourisme de mémoire !

 

Qu’est-ce que le tourisme de mémoire ?

 

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© Magnus Andersson

On définit par l’expression « tourisme de mémoire » ou « tourisme mémoriel » toute activité touristique mettant en scène le patrimoine d’un endroit marqué par un événement douloureux. Il peut s’agir de l’emplacement d’un conflit, d’une catastrophe ou d’un massacre. On parle donc d’une forme de tourisme étroitement liée au macabre.

Parmi les lieux du tourisme de mémoire, on regroupe les cimetières militaires, les monuments aux morts, les musées et mémoriaux construits après la tragédie. L’exemple de tourisme mémoriel le plus lointain date du 19e siècle et concerne les ruines du champ de bataille de Waterloo, visitées en masse par les Britanniques.

De nos jours, les touristes anglais représentent encore la majorité de la clientèle étrangère du tourisme de mémoire français. On estime à 45 % la part de visiteurs internationaux de ce type d’endroits en Hexagone. En 2016, le tourisme mémoriel regroupait 12 millions de visiteurs.

En France, les lieux les plus fréquentés sont les suivants : le musée de l’armée des Invalides à Paris, le mémorial de la paix à Caen et le musée du débarquement d’Arromanches. On compte aussi beaucoup de plages du débarquement, notamment en Normandie, des cimetières et des champs de bataille.

 

Quel est le lien avec le dark tourism ?

 

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© Oleksandra Bardash

Le « dark tourism » est un concept théorisé par des chercheurs américains dès 1996. Il désigne toute forme de tourisme associé à la mort, la souffrance ou la catastrophe. Il exploite l’imaginaire négatif d’un site pour le transformer en attraction touristique.

Le dark tourism peut être lié à des accidents nucléaires (Tchernobyl), des zones de grande pauvreté (bidonvilles en Inde), des lieux de détention (visites d’anciennes prisons), mais aussi à des guerres ou des crimes de masse.

L’exploration d’un camp d’extermination peut être vue comme appartenant au dark tourism. La limite de la décence est franchie lorsque les conditions de visite ne sont pas respectueuses des victimes, de leurs familles ou des potentiels survivants. Le dark tourism est souvent associé au voyeurisme et à la recherche de spectacle, au détriment du souvenir.

Ce qui différencie le tourisme mémoriel du dark tourism apparait comme un jugement moral. Une visite d’un lieu de tragédie pourra sembler de l’ordre du devoir de mémoire pour certains, ou une preuve de la curiosité morbide pour d’autres.

 

Pourquoi pratiquer le tourisme de mémoire ?

 

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© Oliver Hotakainen

Avec ses millions d’adeptes chaque année, le tourisme mémoriel semble disposer de bonnes raisons d’attirer du public. En France, le ministère de la Défense l’encourage pour son « enrichissement civique et culturel ». Dans un pays dont avec une histoire marquée par les conflits, il représente un véritable apport économique pour les territoires concernés.

La Normandie est la région française la plus importante pour le tourisme de mémoire. Elle est régulièrement choisie par les familles pour faire découvrir aux plus jeunes générations l’histoire du pays. De nombreux voyages scolaires se déroulent également dans des lieux historiques comme Auschwitz, qui accueille plus d’un million de visiteurs par an.

Plus un lieu est chargé d’émotion, plus il attire. Le tourisme de mémoire accueille aussi les familles des victimes qui souhaitent se recueillir comme au Bénin, où les descendants d’esclaves réalisent des pèlerinages pour découvrir la réalité traversée par leurs ancêtres.

Il existe diverses raisons de pratiquer le tourisme mémoriel. Elles peuvent être pédagogiques, civiques, personnelles. Il peut s’agir de mieux comprendre le passé pour préparer l’avenir. Célébrer le courage des aînés, se recueillir à la mémoire des victimes, transmettre un patrimoine commun aux générations futures.

 

Les controverses du tourisme de mémoire

 

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© Karsten Winegeart

Sans grande surprise, le tourisme mémoriel peut vite basculer dans une forme plus controversée de voyage. Pour mieux comprendre ce phénomène, penchons-nous sur la destination numéro du tourisme de mémoire : Auschwitz.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le camp de concentration s’ouvre progressivement au public. C’est l’occasion de lutter contre le négationnisme et d’honorer le souvenir des victimes. Mais 50 ans plus tard, on voit fleurir des comportements irrespectueux de la part des touristes. Selfies souriants devant les chambres à gaz, vente de figurines antisémites à l’entrée du camp…

En devenant une attraction touristique, Auschwitz brouille les frontières entre devoir de mémoire et dark tourism. Les agences de « Holocaust Tourism » se développent pour emmener les curieux en excursion au camp durant leur séjour à Cracovie. Ce type de visites express permet rarement de réellement comprendre l’histoire de ce lieu tragique.

Le tourisme de masse menace également les infrastructures historiques. Les ruines des chambres à gaz ont un besoin urgent de soins, sans quoi elles risquent de disparaître. La recherche constante de sensationnel mène à l’effacement de l’authenticité de ces sites qui montrent un passé douloureux.

 

Comment pratiquer le tourisme de mémoire de manière éthique ?

 

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© Philipp Angerhofer

Bien qu’il soit parfois mal réalisé, le tourisme mémoriel reste vital pour de nombreuses régions. Il permet d’attester d’une histoire commune et de faire vivre économiquement des pays qui ont souffert. Mais pour voyager de manière utile, il est important de suivre certaines règles de bonne conduite.

En visite dans un lieu de mémoire, il est essentiel de veiller à respecter tous les panneaux d’interdiction et d’indication. La meilleure façon de soutenir la population est de faire appel aux services d’un guide local.

Lorsqu’on voyage dans une région touchée par des catastrophes ou des guerres, il peut être intelligent de s’intéresser à différentes facettes du pays. Découvrir d’autres villes que celles qui ont péri dans la tragédie, c’est aussi un moyen de prouver qu’une zone peut se reconstruire après des événements graves.

Le plus important est d’écouter la voix des victimes, des survivants et des descendants. Les lieux du tourisme de mémoire souffrent parfois d’une déformation des propos, que ce soit par manque d’intérêt ou par souci du sensationnel. Il est impératif de donner la parole aux personnes au cœur de la tragédie et d’apporter de la valeur à leurs témoignages.

 

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