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Dark tourism : le tourisme de pauvreté

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Photo by thiago japyassu on Unsplash

Aujourd’hui, je te propose un nouveau voyage dans les tréfonds les plus noirs du tourisme. Parlons du poorism (contraction de poor et tourism), aussi appelé tourisme de pauvreté.

Il s’agit de tourisme dans des lieux de pauvreté extrême comme les bidonvilles, les ghettos, les favelas ou les townships. Ce phénomène gagne de l’ampleur et vaut la peine d’être analysé.

Quelles sont les origines du tourisme de pauvreté et quelles sont ses conséquences sur le lieu visité ?

 

Les débuts du tourisme de pauvreté

 

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Photo by sergio souza on Unsplash

Le poorism est né au 19ème siècle, entre Londres et Manhattan. Dès 1840, de riches Londoniens décident de visiter le quartier mal famé d’East End par charité ou curiosité. À New York, ces mêmes bourgeois anglais viennent comparer leurs quartiers pauvres à ceux des Américains.

Les guides touristiques sentent le bon filon et commencent à proposer des visites guidées de maisons closes, de saloons ou de fumeries d’opium. Des acteurs sont engagés pour jouer des bagarres plus vraies que natures sous l’œil ébahis des touristes en quête de frissons.

Bientôt, la ville de San Francisco interdit ce genre de pratique, qu’elle juge comme étant une moquerie envers les pauvres. Mais c’est loin d’être la fin du tourisme de pauvreté.

À Brooklyn, le quartier pauvre de Bushwick intéresse les gentrificateurs dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale. La baisse de la production et la déstabilisation de la classe sociale est vite suivie d’un gros problème de trafic de drogue dans les années 80.

L’émergence d’une culture underground attire les bobos new-yorkais et les touristes alors que 30% des habitants du quartiers vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les visites guidées autour du street art ou les safaris dans le ghetto américain se multiplient et la visite de quartiers pauvres devient branchée.

En 2008, Danny Boyle rafle 8 oscars avec Slumdog Millionaire qui met en scène des orphelins du bidonville de Dharavi à Bombay. Avant lui, La Cité de Dieu montre les favelas brésiliennes. Peu à peu, la pauvreté est romantisée, starifiée et devient alors une expérience touristique comme une autre.

 

Visiter les bidonvilles : de la fiction à la réalité

 

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Photo by Milo Miloezger on Unsplash

Que ce soit à Hollywood ou dans les livres de Dickens, les pauvres ont toujours fasciné et été montré en spectacle à des populations plus aisées.

Slumdog Millionnaire, littéralement « chien des bidonvilles millionnaire », n’est pas aussi apprécié en Inde qu’il est en Occident. Le film est accusé par certains habitants de Dharavi de montrer une image stéréotypée du quartier où 1 million de personnes vivent.

Dans ce bidonville, le 3ème plus grand du monde, l’agence Reality Tour & Travel propose des visites guidées pour seulement 400 roupies (5€). L’objectif ? Combattre les préjugés en montrant des habitants dynamiques et heureux qui travaillent pour l’industrie du recyclage. Ces visites se font par groupes de 6 personnes maximum et les photos sont interdites.

L’entreprise, fondée par le britannique Chris Way, reverse 80% de ses bénéfices à la communauté. Le film de Danny Boyle « a permis d’augmenter le nombre de visiteurs d’environ 30% ». Le fondateur décrit la population de Dharavi comme des gens « pauvres mais optimistes, travailleurs et heureux. Ils nous rendent humbles. »

Peut-être est-ce pour se sentir humbles que 18 000 personnes visitent Dharavi chaque année. Peut-être est-ce un peu pour s’encanailler, comme à l’époque des visites de ghettos de Londres. Peut-être est-ce aussi pour découvrir un pays dans toute sa complexité, au-delà des hôtels de luxe. Peut-être est-ce même réellement dans l’espoir de changer les choses.

En Indonésie, il est possible de découvrir le « Jakarta caché » en visitant les bidonvilles de la capitale. Le quartier de Tanah Abang se trouve à deux pas des centres commerciaux réservés aux riches visiteurs étrangers, entre boutiques Gucci et Louis Vuitton. Dans ce bidonville, les résidents vivent avec 2$ par jour, comme la moitié des Indonésiens.

Les visites du bidonville, organisée par une ONG, permettent de découvrir des habitations de 10m2 logeant parfois 12 personnes. Pas d’aventure ni de frisson, mais néanmoins la satisfaction d’être bien mieux loti. Et une petite impression d’humanitaire. La moitié des revenus récoltés sont versés à l’ONG, l’autre moitié est utilisée pour participer à des projets de construction d’écoles ou d’hôpitaux.  

S’agit-il alors d’une forme de voyeurisme nécessaire ?

 

Le poorism : aider ou empirer ?

 

Une touriste française devenue bénévole à la suite de sa visite l’affirme : « Si je n’avais pas vu, je n’aurais rien fait ». Selon l’ONU, un quart de la population mondiale vit dans des bidonvilles. Ces personnes n’ont pas accès à l’eau potable, craignent constamment l’expulsion et ont une espérance de vie inférieure à la moyenne.

À Manille, capitale des Philippines et parmi les villes les plus peuplées du monde, on compte des centaines de bidonvilles sur les berges, les voies ferrées et dans les décharges. Sur 12 millions d’habitants, 3 millions sont dans les bidonvilles. Ici aussi, on quitte le centre et ses musées pour aller explorer la pauvreté et les inégalités.

Les touristes pensent aider – et parfois, ils aident. À New Delhi, des visites sont organisées autour de la gare dans un quartier où plus de 2000 enfants vivent. L’argent récolté va à un organisme de charité qui tentent de réhabiliter les jeunes accros à la drogue.

Mais sans misère, plus de tourisme. Et s’il y a une chose donc on peut être sûr, c’est que la pauvreté ne diminuera pas. Les pauvres sont exposés comme au zoo, malgré les efforts de certaines agences pour rendre les bus de touristes les plus discrets possibles.

Les agences se multiplient, avec toutes les meilleures intentions possibles, elles tentent de donner une meilleure image des quartiers défavorisés. Au risque de cacher la réalité ? En présentant les habitants comme d’heureux travailleurs, on romantise la pauvreté, on la dépolitise. On n’explique pas pourquoi celle-ci existe.

Il est en réalité très facile de lancer une entreprise dans un bidonville : officiellement, le lieu n’existe pas. Ce flou juridique autorise toutes les combines pour créer de la demande et récolter du profit. Difficile de demander leur avis aux habitants mis en scène lors de ses visites quand la plupart ne parle pas la même langue.

Parfois, le spectacle va plus loin. En 2014 se lance une émission de télé-réalité, Slum Survivors. Pendant 3 épisodes, des cuisiniers sont lâchés dans les bidonvilles du Lagos, de Jakarta ou de Bombay pour expérimenter la précarité, les rats et les micro-cuisines.

Peut-on alors parler, comme l’a déjà fait la télévision indienne, de « pornographie de la pauvreté » ?

 

Les favelas : un tourisme plus ou moins dangereux

 

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Photo by Felipe Dias on Unsplash

Les favelas du Brésil se sont développées dans les années 60 sur des espaces inconstructibles et sont régulièrement victimes de catastrophes naturelles. Elles comptent 65 millions d’habitants, soit 1 Brésiliens sur 3. À Rio, elles se trouvent dans la zone Nord, loin des quartiers touristiques. Pourtant, elles attirent 40 000 voyageurs curieux par an.

Dès les années 90, le Favela Tour est créé pour guider les visiteurs au cœur de la pauvreté. Santa Marta, par exemple, se situe au pied d’un funiculaire gratuit et accueille de nombreux touristes. Les artisans peuvent espérer gagner un peu d’argent en vendant leur travail aux voyageurs, mais les plus chanceux sont les guides locaux. 

Santa Marta connait un faible pourcentage de criminalité, ce qui n’est pas le cas de tous les quartiers. Rocinha, la plus grande favela de la ville, compte environ 100 000 habitants. En 2017, elle a offert un spectacle surprenant aux touristes : une altercation entre la police et un groupe de narcotrafiquants.

Ces quartiers ont très souvent un taux de criminalité élevé, résultat de l’exclusion sociale, du manque d’infrastructures et de la pauvreté. Les favelas ont une économie parallèle qui repose essentiellement sur le trafic de drogue.

L’Unité de Police Pacificatrices (UPP) est à l’origine d’un programme de pacification des favelas à Rio. Sur 1020 quartiers, 30 ont été pacifiés. Le trafic de drogue existe toujours mais il est moins facile de se procurer une arme. On note une baisse de 75% des morts violentes.

Les favelas pacifiées ne sont pas les plus violentes, mais plutôt celles qui sont le plus visibles pour le grand public. Surtout lors d’évènements internationaux comme les Jeux Olympiques.

Ce n’est pas la première fois qu’un État met les moyens pour cacher la pauvreté de sa population au monde. En février 2020, l’Inde a déboursé 1 million de dollars pour cacher ses bidonvilles lors de la visite du Président Américain Donald Trump. Cette visite aurait coûté 12 millions de dollars au total.

Au quotidien, les pays ferment les yeux sur ces conditions de vie car les favelas permettent à toute une partie de la population d’avoir un logement proche de leur travail. Forcément, il s’agit d’une main d’œuvre peu coûteuse. Ce système développe les inégalités et l’insécurité.

Mais cela ne suffit pas à décourager les touristes.

 

Jouer au pauvre en Afrique du Sud

 

En Afrique du Sud, le tourisme de pauvreté prend essentiellement place dans les townships. Il s’agit de quartiers apparus à la fin du 19ème siècle, pendant l’Apartheid, qui regroupaient les non-blancs expulsés du centre-ville.

Les townships sont des quartiers pauvres, sous-équipés, en périphérie des villes et logeant en grande majorité des personnes noires ou indiennes. Le plus grand township du pays est celui de Soweto, avec 1 million d’habitants.

Symbole de l’Apartheid, le quartier fait partie des 10 sites les plus visités du pays. On compte au total plus de 300 000 touristes par an dans les townships d’Afrique du Sud.

Dès le début des années 90, les noirs sud-africains ont commencé à proposer des visites guidées de ces quartiers aux touristes internationaux. Le but ? Montrer l’atteinte aux droits de l’homme dans ces zones marginalisées où vivent les victimes de la ségrégation.

Mais les townships ne sont pas les seuls moyens de se rendre compte de la pauvreté en Afrique du Sud. L’Emova Hotel & Spa est un complexe hôtelier de luxe qui ressemble en quasi tout point à un bidonville. Cabanes en tôle, lampes à pétrole, WC en extérieur…

Le Shanty Town rejoue les conditions de vie d’un bidonville, sans les nuisances sonores et sanitaires, ni l’insécurité. Le moyen parfait pour jouer au pauvre pendant ses vacances. Sur le site du lieu, on y trouve cette description : « le seul bidonville au monde équipé du chauffage au sol et d’une connexion internet. »

 

Ici encore, les limites de l’éthique entourant les différentes activités du tourisme de pauvreté semblent floues. On peut se demander quel est l’intérêt de se rendre chez les gens pour les observer dans des conditions de vie peu reluisantes. Est-il nécessaire de voir la misère pour y croire ? Faut-il entrer dans l’intimité de toute une population pour l’aider ?

Prise de conscience ou voyeurisme ? Lutte contre la pauvreté ou exploitation ? Empathie ou atteinte à la vie privée ? Il est facile d’y voir tout et son contraire quand on touche à des sujets si controversés.

Il est difficile de généraliser en ce qui concerne ce type de tourisme. Chaque pays a ses propres problèmes. Ce que l’on sait, c’est que le nombre de touristes augmente chaque année. On sait aussi que pour montrer un spectacle, il faut un public. Nous, voyageurs, devenons alors le public de la pauvreté.

 

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