Dark Tourism : immersion dans le drame
Bienvenue sur le blog le plus joyeux de l’internet. Aujourd’hui, je te propose une nouvelle plongée dans le dark tourism. Comme tu le sais déjà (parce que tu lis beaucoup d’articles sur le sujet), c’est un terme qui regroupe toute forme de tourisme lié à des catastrophes ou évènements tragiques.
Pour certains, contempler le drame n’est pas suffisant. On préfère le vivre. C’est le but de l’immersion, dont nous allons découvrir quelques exemples.
Faire l’expérience de la vraie peur
Revivre une période sombre, c’est parfois simplement assister à la reconstitution d’une bataille, comme celle de Verdun. En recréant un mode de vie, des tenues d’époque, des décors, on recrée un moment d’histoire. Un petit jeu de rôle assez innocent.
L’immersion commence quand on passe du statut de spectateur à celui d’acteur. Dans le célèbre London Dungeon (ou Donjon de Londres pour Michel le francophone), un parcours horrifique nous fait revivre les parties les plus effrayantes de l’histoire de la capitale.
Au menu : visites de Jack L’éventreur et de Bloody Mary, chambre des tortures, pendaison… Une expérience immersive qui a pour thème des évènements macabres et historiques. Divertissement, catastrophe, mort : le petit bingo du dark tourism.
Dans le même genre, les anciennes prisons sont des lieux très populaires. Devenues musées ou parc d’attraction, elles peuvent aussi se transformer en hôtel. Un hébergement décalé pour quiconque serait lassé du classique Ibis. Les plus luxueuses vont jusqu’à 450 dollars la nuit.
Mais parfois, la ligne entre prison et hôtel est plus floue. Passer la nuit en cellule est une chose. Dormir dans les conditions d’un détenu en est une autre.
Prisonnier du dark tourism
Escape game ou simple déguisement : se glisser dans la peau d’un prisonnier n’a jamais été aussi simple. Il arrive même que l’envie de vivre une expérience unique surpasse le besoin de liberté.
En Lettonie, des visiteurs peuvent, après signature d’une décharge, être traités comme d’authentiques détenus de la prison de Karosta datant des années 40. Violences, confort minimal, portraits de Lénine dans toutes les pièces… L’immersion est totale.
À Trois-Rivières au Québec, le visiteur est accueilli par un gardien en uniforme, complète sa fiche de détenu et donne ses empreintes digitales avant de finir la nuit en cellule. Le programme : nuit collé-serré avec un autre prisonnier, salle de bain commune et nettoyage de la cellule au réveil pour avoir le droit de manger.
La prison, fermée en 1986, propose aussi des visites guidées faites par d’anciens détenus. Cette expérience permet par exemple à des étudiants de mieux comprendre les conditions de détention de l’époque.
Le parc d’attraction lituanien Deportation Day propose lui aussi une expérience unique : un passage au goulag. À l’arrivée, les touristes subissent un interrogatoire musclé par les agents du KGB, puis sont déposés au bunker où ils reçoivent leur numéro de détenu. L’expérience repose sur des travaux forcés et l’écoute de chants nationalistes, sans avoir le droit de parler une autre langue que le russe. Les visiteurs sont ensuite de nouveau alignés et sont menacés d’être exécutés, faute d’avoir fourni assez d’efforts.
Heureusement, pas de réelle mort à la fin de l’expérience mais de sérieuses questions. Est-il normal de faire d’une période aussi sombre de l’histoire un parc d’attraction ? Réalisé à partir de témoignages de survivants, le parcours peut avoir une visée informative intéressante. Cependant, la question de la réelle motivation des visiteurs se pose.
Jouer au gendarme et au clandestin
Certains voyageurs préfèrent se mettre dans la peau de migrants mexicains essayant de franchir la frontière américaine. Ce divertissement est né de l’envie de ressentir la misère plus que de la contempler. On appelle ça le « tourisme du réel » mais il s’agit pourtant bien de simulation : une fois l’expérience finie, on paye, on se dit au revoir et on rentre à l’hôtel.
Au centre du Mexique, le parc d’aventure EcoAlberto propose ce genre d’expériences. Le but est simple : traverser le Rio Bravo en évitant les policiers. Pendant la nuit, les touristes vivent le danger en 5D, entre sirènes, cris au mégaphone et coups de feu. S’ils sont sages, ils ont même la chance de se faire kidnapper par des trafiquants.
On parle d’une marche de 2 heures dans un décor de cactus et de boue : pas très agréable. Mais alors : pourquoi s’infliger ça ?
Pour les participants, c’est d’abord le goût de l’aventure qui guide ce choix. Vient ensuite l’envie de « savoir ce que vivent ceux qui traversent la frontière ». Ça tombe bien, c’est dans cette optique que les habitants du petit village d’El Alberto ont construit ce parc. Entre piscines et camping, ils espèrent informer les visiteurs des dangers de l’émigration pour ceux qui la subissent réellement.
Une bien belle intention qui est peut-être parfois oubliée par les touristes. Un peu comme le fait que pour les vrais clandestins, l’aventure ne s’arrête pas une fois le soleil levé.
Ce qui ressort de ces exemples, c’est que les expériences ayant pour but l’information ou le divertissement vont de plus en plus loin pour satisfaire le besoin d’adrénaline des clients. Si on peut admirer cette soif de découverte, on peut aussi se demander s’il s’agit réellement du meilleur moyen de l’assouvir.
Est-on vraiment obligé de vivre l’expérience de la victime pour la comprendre ? N’est-ce pas au contraire le signe d’un manque d’empathie ? Quand certains s’amusent à recréer la peur, le danger, la mort, d’autres la vivent.
Pour eux, il n’y a parfois pas de retour au voyage.