Le tourisme spatial : avenir et limites
Ces dernières semaines, on a beaucoup parlé d’une nouvelle forme de voyage : le tourisme spatial. Certains des hommes les plus puissants au monde ont déjà touché les étoiles à bord de leur vaisseau spatial et ont d’ambitieux projets pour l’avenir.
Mais qu’est-ce qu’on entend vraiment par “tourisme spatial” ? S’agit-il de l’avenir du voyage, à l’heure où le tourisme de masse provoque de plus en plus de critiques ? Sera-t-il un jour possible pour le grand public de faire un séjour dans l’espace ?
On fait le point.
Le tourisme spatial, c’est quoi ?
Le tourisme spatial désigne tout type d’activités de divertissement se déroulant dans l’espace. Ces vols peuvent être orbitaux ou suborbitaux. L’expression s’est notamment popularisée après le vol du SpaceShipOne en 2003.
On considère que l’espace commence à partir de la ligne de Karman. Il s’agit d’une frontière imaginaire située à 100 kilomètres d’altitude et qui sépare la Terre de l’espace, selon la Fédération aéronautique internationale.
De la NASA au New Space
En 1958, c’est la naissance de la NASA, organisme fédéral américain. Les missions en direction de l’ISS (station spatiale internationale) permettent d’améliorer l’image des Etats-Unis en pleine guerre froide.
Après 1989, le gouvernement se désintéresse de la conquête spatiale et impose de nouvelles pressions budgétaires. Quelques années plus tôt, le Commercial Space Launch Act avait autorisé les entreprises privées à faire leurs propres lancements.
Pour financer des constructions coûteuses, elles commencent à vendre des billets pour l’espace à plusieurs millions de dollars. C’est le début de l’ère du New Space.
L’industrie spatiale s’ouvre à la Silicon Valley et aux Gafa. Le secteur n’est définitivement plus réservé aux institutions publiques. En 2000, Jeff Bezos crée Blue Origin. Il sera rapidement suivi par Elon Musk avec SpaceX en 2002 et Richard Branson avec Virgin Galactic en 2004.
Le premier touriste de l’espace
Dennis Tito est considéré comme le tout premier touriste spatial. En 2001, il embarque à bord du vaisseau russe Soyouz à l’âge de 60 ans. Diplômé en astronautique, il a travaillé à la NASA avant de lancer sa société d’investissement et de devenir millionnaire. Ce qui lui permet de payer son billet pour l’espace pour 20 millions de dollars.
Dans les années 1990, Dennis Tito harcèle le gouvernement russe pour participer à une mission spatiale. En 2000, le pays finit par accepter son chèque, faute de financement pour son programme spatial. Après Tito, 7 autres touristes sont partis dans l’espace avant que nos trois milliardaires préférés passent la vitesse supérieure en 2021.
Branson, Bezos et Musk : nouveaux astronautes
Le 11 juillet 2021, Virgin Galactic réalise un vol spatial touristique à bord du Virgin Galactic Unity 22. Les participants sont le fondateur Richard Branson et trois salariés. A leurs côtés : Beth Moses, ayant travaillé pour la NASA. C’est la première femme à voyager à bord d’un vaisseau spatial commercial.
Branson prévoit à terme 400 vols par an. Sa société a déjà vendu 600 billets pour l’espace à 220 000€ l’unité. Elon Musk a réservé sa place pour le prochain vol.
9 jours après Branson, le fondateur d’Amazon et de Blue Origin, Jeff Bezos, s’envole à bord du New Shepard à plus de 100 kilomètres d’altitude. Il est accompagné de son frère, de Wally Funk (82 ans) et d’Oliver Daemen (18 ans) ayant acheté sa place pour 28 millions de dollars. Ce sont respectivement la plus âgée et le plus jeune des astronautes de l’histoire.
Elon Musk, fondateur de Tesla et de SpaceX, n’est pas en reste. Bien qu’il ne soit pas encore allé dans l’espace, il travaille déjà régulièrement avec la NASA. Il a notamment fourni le lanceur qui a permis à Thomas Pesquet d’aller sur l’ISS.
Un vol pour l’espace est prévu pour fin 2021 avec le Crew Dragon de SpaceX. Cette expédition, Inspiration4, emmènera le milliardaire Jared Issacman pour 3 jours autour de la Terre. Elle servira à collecter des fonds pour lutter contre le cancer des enfants. Une web-série en collaboration sur Netflix est déjà en travaux.
Le futur du tourisme spatial
Dearmoon est un projet du milliardaire japonais Yūsaku Maezawa, prévu pour 2023. En 2018, il acheté à Elon Musk un voyage d’une semaine sur la Lune, dont le prix reste inconnu. Il a organisé un concours pour sélectionner les artistes qui l’accompagneront. A ce jour, Maezawa a reçu plus d’un million de candidatures.
Un projet de téléréalité dans l’espace est aussi en préparation. La société Space Hero LLC, a signé un contrat avec la NASA pour faire gagner un séjour sur l’ISS. Ce serait la première compétition à envoyer un civil dans l’espace pour 10 jours, filmé 24h/24 et 7j/7.
La NASA a également confirmé qu’un tournage de cinéma était prévu sur l’ISS avec l’acteur américain Tom Cruise. A bord d’une capsule SpaceX, celui-ci s’envolerait avec le réalisateur Doug Liman d’ici octobre 2021 pour un budget de 200 millions de dollars.
La Russie a annoncé son propre projet cinématographique qui enverra l’actrice Ioulia Peressild dans l’espace, durant la même période. Ce vol se déroulera à bord du vaisseau Soyouz. L’ancien vice premier ministre de la Russie, Dimitri Rogozine, financera ce projet.
Des hôtels dans l’espace ?
La société Orbital Assembly Corp prévoit de construire un hôtel dans l’espace pouvant accueillir plusieurs centaines de personnes. Ce projet appelé Voyager Station est prévu pour 2027. Il s’agit d’un palace au sein d’une station spatiale en orbite.
Le complexe hôtelier devrait comporter des restaurants, un cinéma, des bars, une salle de sport et une bibliothèque. Il sera composé de 24 modules d’habitation qui tourneront sur eux-mêmes pour générer de la gravité artificielle à 1 900 kilomètres d’altitude.
L’impact écologique du tourisme spatial
L’expansion du tourisme spatial menace l’environnement de nombreuses manières.
Une étude de 2010 estime que 1000 vols suborbitaux par an peuvent produire 600 tonnes de suies. En altitude, celles-ci restent en suspension dans l’atmosphère et risquent de modifier drastiquement le climat de toute la planète. Christophe Bonnal, du CNES, compare ça à “brûler un pneu” dans une zone de l’atmosphère où l’air se recycle moins vite.
Virgin Galactic affirme que son vol produit moins de dioxyde de carbone qu’un trajet Londres-New York en avion. On estime tout de même ses émissions à 4,5 tonnes de CO2 par passager. Cela équivaut à un tour de la Terre en voiture.
De plus, les émissions de CO2 ne sont pas les plus pertinentes pour évaluer l’impact de ces voyages. Les particules de carbone noir projetées dans la stratosphère s’accumulent pendant des années, jusqu’à absorber la lumière du soleil. Elles contribuent à l’effet de serre et absorbent 100 000 fois plus d’énergie que les émissions de dioxyde de carbone.
Les engins de Blue Origin produisent beaucoup de vapeur d’eau qui, rejetée dans l’atmosphère, peut impacter la formation de nuages. La combustion du carburant de Falcon 9 de SpaceX produit une énergie comparable à celle de l’explosion de Beyrouth en 2020. L’impact du tourisme spatial pourrait donc vite devenir très préoccupant.
Les limites éthiques du tourisme spatial
De grandes questions éthiques se posent sur cette conquête spatiale 2.0. Pour ces milliardaires, le tourisme semble être la première étape d’une colonisation spatiale. A l’heure où de nombreuses inégalités subsistent sur Terre, on peut se demander s’il s’agit vraiment d’une priorité.
A la suite de tous ces voyages, David Beasley, travaillant aux Nations Unies, a interpellé Musk, Branson et Bezos dans un tweet pour les inviter à lutter contre la faim dans le monde.
Les voyages spatiaux privatisés pourraient bouleverser le fonctionnement de la NASA et la pousser à se tourner vers du conseil pour les entreprises. Dans le Traité de l’espace, paru en 1967, on présente l’astronaute comme un “envoyé de l’humanité”. On peut se demander s’il s’agit là des réelles intentions de ces entrepreneurs.
De plus, la législation spatiale est loin d’être au point. Actuellement, elle ne fait pas de différence entre un astronaute et un touriste. Il semble nécessaire de préciser cette législation pour protéger ceux qui souhaiteraient voyager dans l’espace à l’avenir.
Le tourisme spatial : bonne ou mauvaise idée ?
Depuis toujours, l’homme est fasciné par l’espace. Le tourisme spatial se veut être le symbole d’une expansion sans limite, de la conquête de l’univers. On représente déjà beaucoup cette ambition dans les films, les séries et les arts en tout genre.
Mais actuellement, il ne s’agit pas d’un phénomène suffisamment accessible pour parler réellement de tourisme. Avant le voyage de Jeff Bezos, une pétition a tourné pour l’empêcher de revenir sur Terre. Elle comptabilise 200 000 signatures. En vérité, la demande des gens ordinaires pour le tourisme spatial est très faible.
S’agit-il seulement d’un rêve pour milliardaires en quête de frisson ? Peut-on envisager un tourisme spatial respectueux de l’environnement, alors qu’il a déjà du mal à exister sur Terre ? Cette nouvelle forme de tourisme peut-elle se démocratiser et apporter une solution pour répondre aux limites de notre société ?
L’avenir nous le dira.