Voyager (seule) quand on est une femme
Le voyage en solo, c’est effrayant pour un tas de raisons qu’on a déjà évoqué sur ce blog. Mais quand on est une femme, le fait de voyager seule prend tout de suite une dimension plus dangereuse.
Toute voyageuse en solo a déjà vécu une situation similaire : les proches qui s’inquiètent ou qui s’étonnent, les amies qui avouent qu’elles n’oseraient jamais prendre ce risque…
Mais de quel risque on parle ? Pourquoi une voyageuse est différente d’un voyageur ? Voyager seule quand on est une femme, est-ce que c’est vraiment dangereux ?
Qui sont les femmes qui voyagent seules ?
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il y a plus de femmes qui voyagent en solo que d’hommes. Il s’agit d’une tendance plutôt récente puisqu’on remarque une augmentation des réservations de femmes seules de 45% entre 2015 et 2017, contre 40% pour les hommes.
Cette nouveauté s’explique en partie par les changements sociétaux des dernières décennies. Les femmes sont de plus en plus autonomes, notamment d’un point de vue financier. Elles se marient moins, tombent enceinte moins jeunes et ont un besoin grandissant d’émancipation.
Les femmes sont globalement plus à même d’effectuer un travail d’introspection que les hommes (cf. masculinité toxique, tout ça). Elles sont en recherche d’expériences, de bien-être et de liberté.
Le résultat, c’est que 72% des américaines aiment partir seules. Au Royaume-Uni, 55% des recherches pour des voyages en solitaire sont faites par des femmes de 25 à 34 ans. De nombreuses applications existent pour entrer en contact avec d’autres voyageuses ou pour loger chez des locales.
Pourtant, dans l’imaginaire collectif, le voyageur reste un homme. Les modèles d’aventuriers et d’explorateurs ne manquent pas : Christophe Colomb, Robinson Crusoé, Indiana Jones… Le voyage est rempli de testostérone. Quand Ulysse part à l’aventure, Pénélope l’attend sagement au bercail.
De quoi a-t-on peur exactement ?
Comme le dit la Présidente d’ONU Women, Phumzile Mlambo-Ngcuka : « Les femmes courent dans l’espace public des risques auxquels ne sont pas exposés les hommes, dans leur pays mais pas seulement ».
Au-delà de la peur de la solitude, commune aux deux genres, les femmes ont surtout peur de l’insécurité. « La cause première des violences contre les femmes, dans l’espace public comme dans la sphère privée, est à chercher dans les stéréotypes de genre, les normes sociales, le sentiment d’impunité et le patriarcat. »
En clair, le monde est sexiste, les femmes s’attendent donc à ce que les personnes rencontrées en voyage soient sexistes aussi. L’agression sexuelle, la discrimination, le harcèlement… Toutes ces choses existent à l’étranger comme dans le pays d’origine.
Ces peurs sont accentuées par des articles relatant des agressions de touristes. On peut se demander si les faits divers mettant en scène des victimes féminines sont plus médiatisés que les autres (spoiler alert : oui).
Ce qui est évident, c’est que jouir de sa liberté demande un effort supplémentaire quand on est une femme. Un « courage », comme disent tes proches. Le coût est plus élevé pour les voyageuses, de par leur condition de femmes dans une société encore patriarcale. Et le voyage ne fait pas exception.
Dire que « voyager seule, c’est dangereux », c’est sexiste ?
Déjà, on peut commencer par dire une chose : si on prend les agressions dans leur ensemble, les femmes ne sont pas plus victimes que les hommes. Majoritairement, ces agressions sont des vols.
Concernant les violences sexuelles, il faut rappeler qu’en France, l’agresseur fait partie du ménage dans 51% des cas. Les femmes sont trois fois plus victimes d’agressions sexuelles, mais celles-ci ne se déroulent généralement pas en voyage. Les violences contre les touristes sont plus médiatisées. Pourtant si on écoute les chiffres, les étrangères ont moins de risques d’être victimes que les locales.
Ces agressions ne sont qu’une infime partie de toutes les violences que subissent les femmes dans le monde. Et oui, le monde entier. La France, l’Italie, l’Allemagne et n’importe quel autre pays. Le sexisme n’a pas de nationalité, pas de couleur, pas de religion.
S’inquiéter de voir une femme partir seule, c’est souvent bienveillant. Pourtant, ça diffuse l’idée qu’une femme doit être protégée. Dès le plus jeune âge, on apprend aux femmes à se considérer comme une proie potentielle et à penser qu’il est normal d’avoir peur.
Qu’on soit bien clair, le voyage n’est pas un concours de courage et il n’y a aucun intérêt à partir si on n’est pas à l’aise. Mais une femme qui souhaite sortir de sa zone de confort ne devrait pas s’en empêcher car elle est une femme.
Dire à une femme que le voyage est dangereux, c’est dire qu’elle n’a pas de moyen de défense. Pire : c’est insinuer qu’elle pourrait mériter une potentielle agression par son manque de prudence. C’est nier sa liberté à voyager comme pourrait le faire un homme.
Comment ne plus avoir peur ?
Le problème n’est pas tant qu’il y ait un danger, mais plutôt la peur du danger en elle-même. Je rappelle quand même que personne n’a rien à prouver et que si tu ne te sens pas de voyager seule, ne te force pas.
Si tu veux partir, il existe des moyens pour te protéger ou te rassurer. Tu peux commencer par voyager dans des pays proches pour avoir plus de repères. Avant chaque voyage, renseigne-toi sur le site de l’ambassade sur les potentiels risques.
Ne fais aucune activité avec laquelle tu n’es pas à l’aise : on s’en fout si tu sembles coincée, le plus important c’est que tu te sentes bien. Tu es la seule à connaître tes limites, écoute ton instinct. Si tu te sens en insécurité, demande de l’aide. Il existe des services gratuits comme RedZone, TripWhistle ou Noonlight pour signaler des dangers et contacter la police locale.
Tu peux aussi récolter des témoignages de femmes ayant voyagé en solo dans ces mêmes pays. D’ailleurs, laisse-moi te parler de ma propre expérience. Mon premier voyage seule était le plus impressionnant et le plus long. Il y a quelques années, je suis partie pendant 4 mois à Melbourne, en Australie.
En Australie, je ne me suis jamais sentie en insécurité en promenant seule dans la rue. Même en pleine nuit, même la fois où je me suis perdue dans les transports. J’ai eu la chance de rencontrer beaucoup de personnes pendant ce voyage. Parmi eux, des mecs lourds qui ne comprenaient pas le « non ». Mais pas plus qu’en France.
Je sais que l’Australie n’est pas le pays le plus dangereux du monde. Mais ce premier voyage en solo m’a permis de me découvrir de nouvelles limites, de comprendre des choses sur moi-même et de surpasser mes peurs. Il m’a permis de me rendre fière.
Tu l’auras compris, les risques du voyage en solo existent. Les dangers qui découlent du simple fait d’être une femme, ils existent aussi. Mais ni les uns ni les autres ne devraient t’empêcher de voyager comme tu le souhaites.
Les femmes, en France, en Europe, comme dans le reste du monde sont traitées différemment, discriminées voire agressées. Mais tout comme tu ne t’arrêtes pas de sortir en boite ou de rencontrer des gens à cause du sexisme (en tout cas, j’espère que tu ne le fais pas), je te déconseille d’arrêter de voyager pour cette raison.
Parce qu’une voyageuse ne devrait pas être différente d’un voyageur, je souhaite à toutes les femmes qui en ont l’envie de redéfinir « l’aventurier » pour en faire une aventurière.
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