Ciné-tourisme : voyage, cinéma et séries
Et si Netflix influençait nos destinations de vacances ? Le ciné-tourisme est un phénomène ancien, mais l’essor des plateformes de streaming semble lui donner un second souffle.
Aujourd’hui, analysons les relations entre ce que nous regardons et ce que nous visitons.
Ciné-tourisme et set-jetting
Le ciné-tourisme, c’est l’action de voyager dans des lieux liés au cinéma ou aux séries. Cela concerne la visite de festivals ou de musées dédiés, mais aussi de lieux de tournage.
Cette tendance apparaît au 20ème siècle avec la mondialisation de la culture. Le terme set-jetting (visite de plateaux) est utilisé pour la première fois dans le New York Post en 2008.
Le phénomène s’accélère avec les plateformes de streaming comme Netflix. Les sorties de films et séries sont accompagnées de grandes campagnes de promotion qui renforcent l’intérêt mondial pour ces œuvres. En 2021, on compte 40 millions de touristes du cinéma.
Comme toutes les formes de tourisme de masse, cette tendance peut avoir de lourdes conséquences sur les territoires. Rappelons l’histoire de Maya Bay, décor du film La Plage, qui a dû fermer ses portes aux touristes pour éviter la destruction de son écosystème.
Netflix : moteur du tourisme ?
Avec une progression de 10% d’abonnés par an, Netflix est bien placé pour comprendre le phénomène. La plateforme s’est alliée à l’OMT pour publier un rapport sur le rôle des films et séries en tant que moteurs du tourisme.
Selon ce rapport, les œuvres audiovisuelles peuvent influencer nos choix de destination et notre intérêt à l’égard d’une culture. Ce n’est pas étonnant quand on sait qu’aux États-Unis, la population passe en moyenne 10% de son temps devant la télévision.
D’après le Secrétaire général de l’OMT, Zurab Pololikashvili : “Le tourisme est l’audiovisuel sont deux secteurs qui célèbrent et mettent en avant la culture, qui soutiennent l’emploi et qui sont porteurs d’opportunités en bien des endroits.”
Le Vice-Président de Netflix chargé des affaires publiques, Dean Garfield, ajoute : “La production audiovisuelle suscite un intérêt accru envers le patrimoine, la culture, la langue et les relations humaines.”
Les destinations stars du ciné-tourisme
Le Royaume-Uni est l’une des stars du ciné-tourisme. En 2019, à l’occasion du film Downton Abbey, un concours est organisé pour faire gagner un séjour dans le Highclere Castle où se déroule la série. Les studios Leavesden, berceau de la saga Harry Potter, sont devenus un musée et accueillent 6 000 visiteurs par jour.
En Tunisie, le village de Matmata s’est fait connaître en servant de lieu de tournage aux films Star Wars. Environ 1000 visiteurs quotidiens viennent voir Matmata, village d’origine de Luke Skywalker à l’écran.
Comment parler de ciné-tourisme sans évoquer la Nouvelle-Zélande ? Grâce au Seigneur des Anneaux, le pays a vu sa fréquentation touristique exploser dès 2001 (+40%). Un Ministre des anneaux a même été créé pour maximiser les profits générés par le tournage.
Le cas Game of Thrones
La série HBO a provoqué un raz-de-marée touristique dans tous les lieux où elle a posé ses plateaux de tournage.
Avec 33 millions de spectateurs, Game of Thrones a fait augmenter les visites de 252% en Islande, 488% en Espagne, 229% en Irlande du Nord et 42% à Dubrovnik, en Croatie.
Selon un rapport du Tourism Competitive Intelligence, 45 millions de touristes ont choisi leur destination de vacances selon leur série favorite. L’Office de tourisme de l’Irlande du Nord estime qu’un touriste sur 6 vient pour visiter les lieux de tournage.
Et en France ?
Dunkerque a vu sa fréquentation touristique augmenter de 30% après le film de Christopher Nolan. Récemment, c’est la série Emily in Paris qui a ramené les touristes dans la capitale.
De nombreux quartiers parisiens sont explorés sous l’angle de l’audiovisuel. Le Moulin Rouge est le cabaret le plus connu au monde, en partie grâce au film. Montmartre renvoie à Amélie Poulain, le Louvre au Da Vinci Code, etc.
En 2008, c’est Bienvenue chez les Ch’tis qui sert de coup de projecteur sur le Nord-Pas-de-Calais. La région avait investi 900 000 € dans le film pour vanter ses mérites. Avec 20 millions d’entrées, il a aidé les producteurs de Maroilles à augmenter leurs ventes de 7 à 10%.
La France, premier pays producteur de films en Europe, souhaite produire des œuvres de qualité pour attirer les touristes. En 2016, la série Versailles, au budget de 27 millions d’euros, est la plus chère jamais réalisée en France.
Le dark tourism sur les écrans
Le dark tourism désigne les destinations attirant les touristes avec des drames : catastrophe naturelle, guerre, misère… Certains voyageurs raffolent d’activités morbides et le ciné-tourisme a ses propres travers.
En 2015, la série Narcos ravive l’intérêt du grand public pour la vie du trafiquant de drogue colombien, Pablo Escobar. Pour visiter les lieux de tournage, les fans se rendent à Medelin, où ils peuvent participer à des visites guidées. On compte 25% d’arrivées touristiques en plus depuis quelques années.
La série Chernobyl, tournée en Lituanie, se déroule à Pripyat en Ukraine. Après sa diffusion, la fréquentation a augmenté de 40%, causant parfois des soucis de sécurité ou un manque de respect envers les victimes de la catastrophe nucléaire.
En 2008, Slumdog Millionnaire a mis en lumière les quartiers pauvres de Bombay en Inde. Cet intérêt a fait naître de nouveaux “reality tours” : des visites guidées dans des bidonvilles. C’est ce qu’on appelle le “slum tourism”.
Ciné-tourisme : faire rayonner les territoires
Les tournages aident au développement touristique des régions. C’est pourquoi les collectivités investissent dans la production. Le cinéma pousse à visiter, à consommer et permet d’associer un imaginaire à une destination. À Paris, 1€ investi dans le cinéma génère 6,62€ de retombées. En 2017, la capitale a accueilli environ 100 tournages.
En installant ses premiers studios européens à proximité de Madrid, Netflix a fait de la ville espagnole la nouvelle capitale des séries. Celles-ci contribuent au PIB espagnol, à la croissance et à la création d’emplois.
L’OMT et Netflix recommandent aux territoires de développer leurs industries créatives locales et d’encourager les productions de haut niveau. La législation peut faciliter cette création. Par exemple, la Nouvelle-Zélande a réduit les taxes de Warner Bros pour tourner le dernier volet du Hobbit.
Ciné-tourisme : un nouveau soft power ?
Les œuvres audiovisuelles permettent de créer des fantasmes autour d’un lieu. Aux États-Unis, les films diffusent l’American Way of Life depuis le début du 20ème siècle.
Les films et les séries sont des outils stratégiques dans la puissance des nations. À l’heure où Netflix, Disney+ ou Prime Video produisent toujours plus de contenu, ce sont également des valeurs qui sont diffusées au monde entier.